2012
Tuesday
February
28

Agriculture L'heure du choix

Ce n'est pas un hasard si le salon de l'agriculture ne fait événement ni des cinquante ans de Politique agricole commune (Pac) ni de sa cruciale renégociation actuelle. Ce silence voile le débat en cours, en éloigne les premiers concernés, les citoyen-nes, pour laisser la voie libre aux tractations entre lobbies agroalimentaires et politiciens.

À l'origine, en 1962, la Politique agricole commune est une vraie stratégie politique au service du bien commun des peuples européens: la paix et l'autosuffisance alimentaire. Une vision ambitieuse, accompagnée des moyens nécessaires. Ses réformes successives ont obéi aux contingences immédiates, sans hauteur de vue. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, l'audace présidant à l'intégration rapide des pays de l'Est européen fut très fortement temporisée par la marche forcée vers la libéralisation du commerce mondial. Les réformes furent souvent des empilements techniques, fruits des compromis avec les différents lobbies en cours à Bruxelles et à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cet abandon progressif de l'intérêt commun nous dépose aujourd'hui au pied d'une réforme de grande importance. La politique de 1962 concernait six pays et 170 millions de personnes, celle à mettre en œuvre pour 2014-2020 touche vingt-sept pays et plus de 500 millions d'Européens. La négociation a commencé en avril 2010 par une consultation citoyenne lancée par le commissaire européen à l'Agriculture, Dacian Ciolos. Elle se poursuit aujourd'hui par d'âpres discussions entre commission européenne et parlement européen. Les mois qui viennent sont décisifs pour l'avenir des paysans - en particulier des petites fermes - et par conséquent pour la qualité de notre alimentation.

La fin d'un modèle

La nature même des enjeux a changé: préservation des ressources naturelles, santé publique, réchauffement climatique, fin des énergies fossiles pour ce qui est de l'héritage anthropique du dernier demi-siècle. Et la perte de l'autosuffisance alimentaire de l'Union européenne, devenue dépendante des importations de protéines végétales pour l'alimentation du bétail (soja, produits de substitution aux céréales), d'engrais minéraux (phosphate, potasse, gaz naturel pour faire des engrais azotés) et de pétrole (pesticides issus de la chimie du pétrole, carburant).

S'y ajoutent les défis du présent immédiat :

La concurrence, pour une surface cultivable mondiale limitée, entre cultures nourricières, cultures de rente et cultures d'agro-carburants, raréfie les possibilités de nourrir les peuples dans le monde entier. Depuis 2007, la spéculation boursière sur les matières premières agricoles provoque à chaque hausse des cours des émeutes de la faim. La ruée des pays riches vers les terres fertiles des pays pauvres installe une nouvelle forme de colonialisme, avec son lot d'exclusion et d'esclavage.
Avec la mondialisation et les délocalisations, l'allongement des voies commerciales (maritimes, aériennes, routières) alourdit le bilan carbone de beaucoup de nos aliments. Tout comme l'offre surabondante de la «grande distribution» et de la restauration hors domicile qui, en plus des autres inconvénients, entretient un scandaleux gaspillage alimentaire (de 30 % à 50 % des aliments).
Refonder l'Europe agricole et alimentaire

De tels enjeux agronomiques, sociaux, économiques, écologiques réclament une refondation de la Politique agricole et rurale commune. Une politique en rupture radicale avec celle qui agonise aujourd'hui. Une politique qui renoue avec le bien commun et la bonne nourriture. Une politique de souveraineté alimentaire, basée sur des modes de production écologiques et des échanges commerciaux équitables. Il ne suffit pas de «verdir» la Politique agricole commune avec des «mesures environnementales» mais de refonder une stratégie agricole, alimentaire et sociale pour les prochaines années. De structurer l'avenir autour des besoins de l'homme et leur satisfaction avec des ressources renouvelables, non pas autour des marges de l'industrie des semences et des pesticides ou d'une « agriculture exportatrice » affameuse des paysans outre-mer.

Les réponses existent. Depuis une vingtaine d'années, des mouvements paysans, ruraux et citadins multiplient les expériences alternatives à l'agriculture intensive, à la grande distribution, à la restauration collective industrielle, à la façon d'habiter un territoire. Des recherches scientifiques explorent la microbiologie des sols, les subtilités des écosystèmes, les impasses de la modification génétique. Nous avons la chance aujourd'hui de pouvoir puiser dans ces bilans concrets pour penser l'avenir. Il suffit d'en faire le choix et d'en prendre les moyens, comme cela s'est fait en 1962. Mais cela fait bien longtemps que les politiciens ne font plus seuls la politique à Bruxelles. Ils doivent composer avec les groupes de pression économiques. Ils leur succombent d'autant plus facilement qu'ils ne ressentent pas la pression populaire.

Démagogie servile ou autisme ?

A l'ouverture du salon de l'agriculture, en pleine campagne présidentielle, qu'entend-t-on monter en leitmotiv : il y aurait concurrence entre agriculture et écologie. Le président de la République, Nicolas Sarkozy s'était fait remarquer en 2010 par « l'environnement ça commence à bien faire », il réédite en 2012 en stigmatisant « les contrôles tatillons sur des textes parfois difficiles voire impossibles à appliquer » en parlant des normes européennes environnementales que les agroindustriels peineraient à respecter. A lui seul, le propos est un aveu de faillite de l'agriculture intensive. Il prouve aussi le degré d'inféodation des politiciens aux lobbies de l'agriculture industrielle et à celui des multinationales agroalimentaires. En effet, il n'est plus un naturaliste, un agronome, un spécialiste des nappes phréatique ou de l'état biologique et chimique de la mer, un climatologue, un médecin nutritionniste digne de son diplôme qui nie l'importance de recentrer les productions agricoles sur des pratiques respectueuses de l'environnement et de la santé. Il n'est besoin d'être président de la République ou agriculteur mais simplement être doté d'un peu de bon sens, pour comprendre que l'on ne peut continuer à polluer l'eau, l'air et la terre sans en payer le prix fort en disparition des ressources naturelles et en santé humaine.

Vite, changer de cap

C'est la prise en compte et le respect des écosystèmes, avec ce que cela implique de reterritorialisation des productions, qui sauvera l'agriculture, celle qui nous nourrit tous les jours. La France a perdu 100 000 fermes en 7 ans. Il y a urgence à retisser un réseau de fermes autour de chaque ville pour les approvisionner en produits frais. A développer des circuits courts de distribution. Autant de gisements d'emplois autrement plus intéressants que de pousser un caddy dans un supermarché. Le 28 novembre dernier, l'Assemblée nationale a voté l'interdiction aux paysans de ressemer leurs propres semences. Une honte à l'histoire de l'homme. C'est le moment de se réveiller et de secouer nos élu(e)s pour changer de politique agricole commune sinon nous n'aurons plus qu'à pleurer sur le mauvais sort auquel nous abandonnerons les derniers paysans. En machouillant une malbouffe quelconque. G.L.

Source: http://www.globalmagazine.info